mardi 7 septembre 2010

11-

Un ami m'a envoyé ceci:

Ce qui appartient le plus particulièrement aux Anglais, c’est la disposition de leurs jardins. Ils y montrent, à mon avis, le même génie que dans leur littérature. En voyant ces beaux parcs, dessinés sans règle ni compas, ces points de vue si adroitement aménagés, ces eaux, ces ombrages si heureusement distribués, ces allées dont les contours sont si natu­rels et si gracieux, enfin cette verdure et ces fleurs, objets d’un culte presque idolâtre, on reconnaît un peuple chez lequel la sensibilité est plus développée que l’imagination, et qui trouve dans la simple obser­vation de la nature des jouissances que d’autres peuples doivent à la culture des arts. Dans le Midi, au contraire, les jardins manquent pour ainsi dire de naturel parce que l’imagination seule les com­pose et y porte cet idéal qui n’est placé que dans les arts. De là ces terrasses, ces profusions de marbres et de statues, ces eaux dormantes et toute cette symétrie des tristes jardins d’Italie, qu’on pourrait appeler des jardins architecturaux. En France, on a voulu longtemps allier les deux genres, et l’on n’est parvenu qu’à donner un peu plus de noblesse au second ; mais les Anglais seuls possèdent le vrai goût, parce qu’eux seuls naissent avec l’amour et le sentiment de la chose ; les beautés de leurs jardins sont nationales comme celles de Milton, de Shakes­peare, de Dryden ou de Thomson. La nature est leur muse, comme l’imagination est la nôtre. Partout, ils remplacent l’idéal par la contemplation.

Leurs ouvrages en littérature, même leurs livres les plus sérieux, pèchent presque toujours par le plan, l’ordonnance et la méthode. Leur langue aussi, quoi qu’on en dise, me paraît présenter le même caractère, et en avoir les mêmes défauts. On reviendra du préjugé qui fait appeler richesse cette abondance de mots, cette variété d’épithètes qui caractérisent les langues du Nord. Les langues avares de mots, claires et concises, telles que la nôtre, sont certai­nement moins commodes, mais plus parfaites. La médiocrité seule, qu’elles découragent, a le droit de se plaindre. Il faut en quelque sorte avoir quelque chose à dire pour les parler et de bonnes choses à dire pour les bien écrire. Ces entraves qu’on leur reproche révèlent au talent sa force, en le contraignant à l’employer. Sans ces entraves salutaires, la nonchalance inhérente à notre nature, à laquelle le Génie même est sujet, empêcherait l’esprit de l’homme d’arriver jusqu’où il peut atteindre. L’effort par lequel Pascal et Bossuet s’élèvent au-dessus des règles les rend sublimes, tandis qu’un génie médiocre s’arrête devant ces mêmes règles, ou ne fait que les violer.

Mathieu Molé Souvenirs de jeunesse 1793-1803

jeudi 2 septembre 2010

10-

Tu es comme cette fraîcheur, un matin de rosée d'automne. Douce et poignante, énergisante, presque agressante.
Tu es cette fureur un soir d'orage, mais aussi l'immobilité des foyers heureux en ce temps.
Tu es cette déchirante beauté, où l'émerveillement se heurte à l'intimidation du feu d'un volcan.
Tu es un ouragan, à l'intérieur même de mes veines,
une catastrophe à mes yeux aveugles,
un souffle à mes poumons asphyxiés.
Tu es l'homme qui me fait chanceler, exprès pour me fortifier. Tu es l'homme que j'hais suffisamment pour tenter de le battre à son jeu, mais aussi celui que j'aime assez pour rendre les armes avant la fatale victoire.
Tu es le feu du phénix, l'enflammeur, le destructeur, le reconstructeur.
La préciosité d'une orchidée, son infaillible beauté, son arrogance, l'audace de sa dominance.
Tu es le fou, le roi, le dominant. Le docteur, l'amoureux, le conquérant. Le guerrier, le malfaiteur, le sage. L'intelligent, le patient, le croyant.
Et moi... la peur, seulement.